Le spectaculaire cambriolage survenu au Louvre le 19 octobre 2025 a mis en émoi le monde de la culture et de la sécurité. Ce dimanche-là, quatre malfaiteurs ont réussi à s’introduire en quelques minutes dans la galerie d’Apollon et à en ressortir après avoir dérobé huit pièces de joaillerie d’une valeur inestimable, issues des joyaux de la couronne de France. Si les alarmes internes se seraient déclenchées, l’attaque a mis en lumière des failles de sécurité : ainsi, « aucune caméra ne couvrait le balcon de la galerie d’Apollon, par où sont passés les braqueurs », a reconnu la présidente du Louvre. Cet événement retentissant s’inscrit dans une série de vols touchant des musées français et a remis en lumière les défaillances sécuritaires déjà signalées à de multiples reprises. Dans ce contexte, une question se pose avec acuité pour les professionnels du secteur : quelle est la responsabilité d’un prestataire de sécurité privée en cas de cambriolage, notamment en présence d’une faille de sécurité ?
Responsabilité contractuelle : obligations du prestataire et régime de preuve
Lorsqu’une entreprise de sécurité privée est liée par contrat à un client (musée, commerce, immeuble, etc.), sa responsabilité en cas de vol s’analyse d’abord sur le terrain contractuel. Conformément au Code civil (art. 1231-1), « Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure ». Autrement dit, si le prestataire de sécurité manque à ses obligations contractuelles, il peut être tenu d’indemniser son client. Reste à déterminer l’étendue exacte de ces obligations : sont-ce de simples obligations de moyens ou de véritables obligations de résultat ? La réponse à cette question est cruciale, car elle conditionne la preuve de la faute du prestataire en cas de sinistre.
Obligation de moyens ou obligation de résultat ?
Dans la plupart des cas, les missions de surveillance et de gardiennage relèvent d’une obligation de moyens. Le prestataire s’engage à déployer tous les efforts et diligences raisonnables pour sécuriser le site, sans garantir qu’aucun vol ne se produira. En cas de cambriolage malgré la présence d’un agent ou d’un dispositif de sécurité, la responsabilité de l’entreprise n’est engagée que si une faute ou une négligence est prouvée dans l’exécution de sa mission. Par exemple, si un agent de sécurité n’a pas effectué les rondes prévues ou a laissé une issue non protégée en violation des consignes, ces manquements constitueraient une faute contractuelle engageant la société. À défaut de faute avérée, le vol peut être considéré comme survenu malgré la vigilance normale du prestataire, qui n’en serait alors pas tenu pour responsable.
Certains aspects de la sécurité privée peuvent cependant être qualifiés d’obligations de résultat. C’est le cas notamment de la télésurveillance et des systèmes d’alarme : le client est en droit d’attendre que le dispositif fonctionne correctement et signale toute intrusion. La jurisprudence récente a nettement affirmé cette exigence. La Cour de cassation a jugé qu’un installateur de système d’alarme, s’il n’est pas tenu de rendre tout cambriolage impossible, est en revanche débiteur d’une obligation de résultat quant au déclenchement des alarmes et à la transmission de l’alerte en cas d’intrusion (Cour de cassation, Chambre civile 1, 6 juillet 2016, 15-21.767). Autrement dit, le simple fait que l’alarme n’ait pas fonctionné lors du cambriolage suffit à engager la responsabilité du prestataire, sans que la victime n’ait à prouver la cause de la défaillance. Cette position, désormais bien établie, a encore été rappelée par la Cour d’appel d’Angers en 2024, qui a retenu que « l’installateur d’un système d’alarme est tenu d’une obligation de résultat pour ce qui concerne le fonctionnement de cette alarme, et notamment le déclenchement des signaux d’alarme » (Cour d’appel d’Angers, 5 mars 2024, n°20-00060). En pratique, le professionnel ne peut s’exonérer que s’il prouve que le dysfonctionnement résulte d’une cause étrangère qui ne lui est pas imputable (par exemple, une coupure de courant générale, un sabotage externe imprévisible, etc.).
Devoir de conseil et prévention des failles
Qu’il s’agisse d’une obligation de moyens ou de résultat, une entreprise de sécurité privée doit également respecter un devoir de conseil et de prudence envers son client. En effet, c’est au professionnel de la sécurité d’informer le client des limites du dispositif en place et de proposer les améliorations nécessaires pour combler d’éventuelles failles.
Concrètement, cela peut impliquer de recommander l’ajout de caméras aux endroits stratégiques (le fameux balcon oublié du Louvre), de s’assurer que les vitrines sont munies de verre anti-effraction adapté, ou encore de prévoir un renforcement du personnel de surveillance en cas de risque particulier. Un manquement à cette obligation de conseil – par exemple ne pas signaler une zone non couverte par la vidéosurveillance – pourrait être analysé comme une faute contractuelle si ce manquement contribue au succès du vol.
Limites de l’engagement : le prestataire n’est pas assureur du vol
Même lorsque la responsabilité du prestataire de sécurité est engagée, encore faut-il déterminer quel dommage il devra indemniser. Il est primordial de souligner qu’une entreprise de sécurité n’a pas pour obligation de garantir l’absence totale de vol, ni de compenser intégralement la valeur des biens dérobés comme le ferait une assurance. Les tribunaux distinguent en effet la cause première du dommage (le fait des malfaiteurs) et la part imputable à une éventuelle défaillance du dispositif de sécurité.
Cependant, si le système d’alarme ou la surveillance a failli à alerter ou à retarder les voleurs, le prestataire pourra être condamné à réparer le préjudice découlant de cette défaillance. Il s’agit généralement d’une perte de chance : la perte de la possibilité d’éviter le cambriolage ou d’en avoir minimisé les conséquences grâce à une alarme fonctionnelle. Par exemple, un système d’alarme muet a laissé aux cambrioleurs tout le temps d’agir, alors qu’une sirène les aurait peut-être fait fuir plus tôt ; de même, l’absence d’alerte aux forces de l’ordre a supprimé la chance d’une intervention rapide limitant le butin.
Le dédommagement alloué par le juge tiendra compte de ces éléments, sans couvrir nécessairement la totalité de la valeur des objets volés. D’ailleurs, dans l’affaire de télésurveillance ayant abouti à l’arrêt de la Cour de cassation de 2016, la société de sécurité a été condamnée à verser 6 000 € aux victimes – un montant sans commune mesure avec la valeur potentielle du cambriolage, mais qui correspondait à l’évaluation de cette perte de chance subie par les plaignants.
En pratique, les entreprises clientes auraient tort de penser que l’indemnisation versée par le prestataire de sécurité suffira à couvrir leurs pertes en cas de vol. Les assurances vol et dommages restent donc essentielles pour être pleinement indemnisé des objets de valeur dérobés. Les statistiques montrent que le risque de cambriolage ou de vandalisme demeure élevé, aux conséquences économiques potentiellement majeures. De son côté, le prestataire de sécurité doit, pour se protéger, veiller à clarifier contractuellement l’étendue de son obligation (moyens ou résultat, limites de responsabilité) et à être lui-même assuré en responsabilité civile professionnelle. Une bonne gestion des risques et des contrats permet ainsi de créer un juste équilibre juridique entre le client et le prestataire, en évitant que chaque vol ne se transforme en bataille judiciaire systématique.
Et en l’absence de contrat ? La responsabilité délictuelle en jeu
La question de la responsabilité se complexifie lorsque le bénéficiaire de la sécurité n’est pas directement partie prenante du contrat. Imaginons par exemple un locataire dont le magasin est sécurisé par une société mandatée par le bailleur de l’immeuble : en cas de cambriolage, ce locataire pourrait être tenté de poursuivre le prestataire de sécurité, en plus du bailleur. En pareil cas, n’ayant pas de lien contractuel direct avec le prestataire, la victime devra invoquer la responsabilité délictuelle (ou extra-contractuelle) de celui-ci.
Le régime juridique diffère alors sur la forme, mais dans le fond il repose encore sur la notion de faute. Hors contrat, une entreprise de sécurité n’encourt une responsabilité civile envers un tiers que si ce dernier démontre une faute du prestataire ayant causé le préjudice (articles 1240 et 1241 du Code civil). Par exemple, prouver que la société de surveillance a commis une négligence grave (comme laisser portes et alarmes désactivées sans autorisation) pourrait engager sa responsabilité délictuelle vis-à-vis d’un tiers victime du vol. À l’inverse, si le prestataire a respecté toutes les normes et consignes de sécurité, il ne saurait être tenu pour responsable des actes d’un malfaiteur imprévisible.
On retrouve ici une logique proche de l’obligation de moyens : la simple survenance du cambriolage ne suffit pas, il faut caractériser un manquement aux devoirs de prudence ou de vigilance que l’on peut attendre d’un professionnel avisé. Par ailleurs, lorsque plusieurs acteurs sont en cause (par exemple le bailleur et la société de sécurité), des débats complexes peuvent avoir lieu sur la répartition des fautes et des responsabilités. Ces situations contentieuses invitent d’autant plus chaque partie (donneur d’ordre, prestataire de sécurité, intermédiaires) à délimiter clairement les obligations de chacun dans les contrats et à collaborer pour éviter les failles exploitables par des criminels.

